>> Accueil Jean Jaur?/i>. Cahiers trimestrielsN° 159, janvier-mars 2001

n° 159, janvier-mars 2001 : L'accueil des Œuvres

Jean-Paul Monferran

La force de l’humain

Résumé

La r?ition des Oeuvres de Jean Jaur?s’ouvre avec Philosopher ?rente ans. O?on d?uvre une pens?complexe de la libert?t de l’?ncipation humaine.
Article paru dans L'Humanit?i>, mercredi 2 f?ier 2000.

Texte intégral

Une « humanit?ui n’existe point encore ou qui existe ?eine »… On sait le d?t qui s’engagea dans ces colonnes, il y a un an, quand, press?de dire ce qu’ils entendaient « pour l’humanit? en son double sens - genre et journal -, plusieurs de ceux qui avaient accept?e livrer leur « qu? » sur papier se r?r?nt ?ette phrase de Jean Jaur? « Pr?ction ?aut risque », selon Jean Rouaud, qui y voyait comme la n?tion de l’existant au nom de ce qui doit ?e accompli et une forme de pr?guration de « l’absence d’humanit? qui fut « la grande affaire du si?e ». «  Magnifique ! Intol?ble ! » notait pour sa part Jacques Derrida, qui pr?rait y lire : « L’on ne sait pas ce que l’on promet au moment de la plus s?euse des promesses »… Beau et terrible d?t, qui trouva des prolongements jusqu’?a F? du journal cr?par Jaur?et que la r?ition de ses ouvres, singuli?ment de Philosopher ?rente ans 1, ne manquera pas de r?tiver, ou de d?acer, si tant est qu’une formule en elle-m? n’a gu? de sens (il suffit d’observer, par exemple, le sort tragique de celle, g?ralement mutil? de Marx sur la religion), en dehors du « bouquet de phrases » qui l’entoure…

Jaur?philosophe… Qui s’en soucie ? Oh ! certes, on sait un peu qu’il soutint une th? - « De la r?it?u monde sensible » -, dans laquelle il r? de transparence universelle de toutes les formes de vie et parle de « cr? vraiment l’humanit?ui n’est pas encore », celle de « la raison », de « la douceur », de « l’amour »… On sait aussi qu’il enseigna ?lbi, mais, comme le note Annick Taburet-Wajngart dans un bel avant-propos, Jaur?philosophe semble dispara?e peu ?eu, jusqu’?’an?tissement, sous Jaur?homme politique, historien, socialiste, fondateur de l’Humanit?em>, tribun assassin?etc. Pourtant, ne parle-t-on pas couramment de « la pens?de Jaur?» ? Et au moment m? o? r?ge sa th?, n’?it-il pas en parall?, si l’on ose dire, une ?de demeur?in?te jusqu’en 1959, « La question religieuse et le socialme », o? affirme - entre autres - que « les vrais croyants sont ceux qui veulent abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, et, par suite, LES HAINES D’HOMME HOMME (soulign?ar nous - NDLR), les haines aussi de race ?ace, de nation ?ation, toutes les haines »… Voil?ui dit d? une « pens?» assez complexe pour qu’elle ne demeure pas enfouie ou r?ite ?a formulation dans le champ strictement politique…

Pour Jaur? en effet, ni « cit?d?e » ?a fa? de Platon, ni « cit?e Dieu » ?a mani? de saint Augustin (dont il fut grand lecteur), ni « r?e des fins » kantien : tr?t?par contre, l’id?que le mouvement n’est pas seulement, ni m? d’abord, mouvement de la pens? mais qu’il « manifeste l’?e », qui est puissance et acte, monde et conscience… « Manifeste », dit-il, en ce sens aussi que, pour lui, libert?t d?rmination sont ?oitement li? : « L’essentiel de la libert??it-il en 1894, n’est pas que l’individu soit seul ; l’essentiel est que, l?? agit, il puisse choisir le point d’action qui lui convient le mieux, et qu’enfin il puisse influer (…) sur la direction g?rale de l’effort commun. » Tension incessante, donc, entre ce qu’il juge « admirable » de Marx - « l’histoire humaine ne commencera v?tablement que lorsque l’homme (…) gouvernera par sa raison et sa volont?a production elle-m? » - et sa propre vision, dans laquelle le « progr?de l’Histoire » implique la libert?es hommes qui la font. « Ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la r?lution sociale, c’est par la force des hommes, par l’?rgie des consciences et des volont? »

Tr?t?pour l’auteur de l’Arm?nouvelle, il n’est pas de sens pr?termin?e l’Histoire - en tout cas pas un mouvement r?lier cheminant dans une direction toute trac?- et toute avanc? justement, est sans cesse entre les mains des « consciences » humaines : « L’Histoire, ?it encore Jaur? ne dispensera jamais les hommes de la vaillance et de la noblesse individuelle. » Refus du fatalisme historique - dans quelque « sens » qu’on (ou qu’il se) pr?nte -, « incertitudes » de l’action transformatrice, mise en coh?nce de ses fins et de ses moyens (« le syst? socialiste ne sera jamais contenu tout pr? tout pr?rm?ans le syst? capitaliste »), devoir d’invention permanent, posant la « vertu d’indignation » en moyen privil??’acc?au monde… Mystique de l’action, « m?physique du socialisme », comme d’aucuns l’ont pr?ndu ? Il y a, en tout cas, chez le Jaur?qui « philosophe ?rente ans » un extraordinaire appel d’air, pour les r?lutionnaires d’aujourd’hui, du c?d’un autre rapport entre justice, libert?t v?t?N’?it-il pas ainsi dans la Question religieuse : « Tout acte de bont?st une intuition du vrai » ? Alors, humain, oui, « d?sp?ment humain ».

En savoir plus

Il y a 1 document annexé à cet article.

Notes de bas de page :

1Oeuvres de Jean Jaur?/em> : tome 3, Philosopher ?rente ans. Pr?ce de Madeleine Reb?oux. ?itions Fayard, 454 pages, 140 francs.

Pour citer cet article :

Jean-Paul Monferran, «La force de l’humain », Jean Jaur?/i>. Cahiers trimestriels, n° 159, janvier-mars 2001 : «L'accueil des Œuvres», pp. 6-8.
En ligne : http://www.jaures.info/collections/document.php?id=481