N° 207-208, janvier-juin 2013 : Lire L'Arm?nouvelle

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In Memoriam

Table des matières

Dieter Groh (1932-2012)

Dieter Groh, Professeur d’histoire contemporaine ?’universit?e Constance depuis 1974 (?rite ?artir de 1997), est d?d?e 29 juillet 2012 ?eidelberg. N?n 1932, il ?it membre du comit?’honneur de la Soci? d’?des jaur?ennes depuis plus de trente ans.

Sa bibliographie r?nte indique qu’il s’?it tr?largement d?urn?es recherches portant sur l’histoire des socialismes en Europe. Il avait ? pourtant dans les ann? 1970 un des chercheurs ouest-allemands les plus comment?sur l’histoire de la social-d?cratie allemande : son analyse sur « l’attentisme » et « l’int?ation n?tive » a constitu?ne des interpr?tions les plus fortes des contradictions du SPD d’avant 19141, avec celle d’Hans-Joseph Steinberg2 (mort en 2003). Un article du Mouvement social fit conna?e son approche aux historiens francophones en 19763. Un an plus tard, on doit signaler la parution d’une int?ssante mise au point sur Jaur?et Bebel en 1905 dans le Bulletin de la SEJ4. Bien que n’ayant pas publi?’autres contributions dans notre Bulletin puis nos Cahiers Jaur?/em>, on doit ?lement ?ieter Groh une br? intervention dans le colloque sur Jaur?et la classe ouvri?5. Mais son article le plus significatif sur le sujet, traitant du rapport de Jaur??a social-d?cratie allemande, fut publi?dans un collectif ?’initiative de notre amie Ulrike Blummert en 19896 ; il constitue la premi? tentative de synth? syst?tique sur les relations politiques entre Jaur?et les dirigeants sociaux-d?crates « d’outre-Vosges ».

Dieter Groh effectua un certain nombre de s?urs de recherche en France, notamment ?’EHESS. Parmi ses contributions publi? en fran?s, on peut ainsi relever une approche singuli? d?lopp??’occasion d’un colloque ?’EHESS pour le centenaire de la mort de Marx en 1983 sur la r?it?u « marxisme » dans la social-d?cratie allemande des ann? 1890-19107, approche contestable mais stimulante qui prolonge certaines intuitions de Georges Haupt8. noter enfin qu’une s?e de ses contributions sur le mouvement ouvrier allemand fut r?ie dans un recueil de textes en 19999.

Sa mort marque la disparition progressive d’une g?ration qui avait travaill?ur l’histoire du SPD dans le contexte de la guerre froide et des deux Allemagnes ; m? d?ss? aujourd’hui sur certains points, leurs contributions resteront un cha?n d?sif de l’historiographie de la social-d?cratie allemande et du socialisme europ?.

Jean-Numa Ducange

Eric Hobsbawm (1917-2012)

Il n’est pas question ici de revenir dans le d?il sur la vie et l’œuvre d’Eric Hobsbawm ; de nombreuses n?ologies accessibles ont r?pitul?’imposante production de l’historien britannique, traduite dans de multiples langues10. Nul doute que son nom sera mentionn?ans la plupart des synth?s historiographiques comme un des historiens les plus influents du vingti? si?e... Ce qui ?it d’ailleurs d? le cas de son vivant, notamment – mais pas seulement – dans les contributions revenant sur le rapport du marxisme ?’histoire. Membre du comit?’honneur de la Soci? d’?des jaur?ennes depuis 1981, Hobsbawm n’?it pas ?roprement parler un sp?aliste du socialisme et n’a pas publi?e contribution sp?fique sur Jaur? Sa conclusion du volume Jaur?et les intellectuels indique n?moins son int?t pour la question – comment n’aurait-il pas ? int?ss?ar Jaur? lui qui avait tant travaill?ur les cons?ences du premier conflit mondial au vingti? si?e !

La r?ption de son œuvre en France a fait l’objet de pol?ques, notamment l’?tion de son §e des extr?s. Histoire du court vingti? si?e (1994). Document?l?ncore, la question de cette r?ption m?terait encore probablement des recherches plus approfondies, notamment sur la p?ode des ann? 1960-1980.

Son œuvre si originale Les Bandits (1968) avait ? traduite en 1972 aux ?tions Maspero mais il a fallu attendre 2008 pour une republication revue et augment?par l’auteur aux ?tions Zones.

En effet, en d?t du grand respect dont Hobsbawm jouit d?rmais en France, on peut constater que, y compris dans son propre camp communiste, son œuvre n’a pas toujours ? tr?discut?et surtout longtemps peu traduite. Ce que remarquait Philippe Minard11 sur l’absence de textes d’Hobsbawm dans les Cahiers d’histoire (longtemps rattach??’Institut de Recherches marxistes, d?rmais Espaces Marx), lors d’une conf?nce ?’ENS ?’occasion du passage en France de l’historien britannique, gagnerait ?tre d?lopp?lus largement, y compris en analysant ses relations avec la SEJ et d’autres soci?s savantes comme la Soci? des ?udes Robespierristes. Et puisque les jaur?ens s’int?ssent souvent au rapport entre histoire et politique – trajectoire de Jaur?oblige ! – l’implication d’Hobsbawm dans le Parti communiste de Grande-Bretagne et le lien que celle-ci entretient avec sa conception de l’histoire serait l?ncore un sujet digne d’int?t, d? partiellement trait?mais peu connu en France. Bref, une œuvre immense d? connue mais sur laquelle beaucoup de choses pourront encore ?e dites, sur les sujets mentionn?ici comme sur d’autres.

Dans les Cahiers Jaur?/em> certains de ses ouvrage ont ? recens? pas toujours positivement, surtout lorsqu’il s’agissait de revenir sur des sujets « chauds » comme l’historiographie de la R?lution fran?se (par exemple avec Echoes of the Marseillaise de 1989 traduit en 2007 sous le titre Aux armes historiens ! Deux si?es d’histoire de la R?lution fran?se). Mais le propre d’une grande œuvre est de ne jamais laisser indiff?nt ceux qu’elle indispose.

Jean-Numa Ducange

Fran?se L? (1922-2012)

Notre amie Fran?se L? (que ses amis et sa famille appelaient affectueusement « Fanchette ») est d?d?le 1er septembre dernier dans sa quatre-vingt-dixi? ann? Ancienne professeur de lettres classiques, amoureuse de litt?ture et de langues anciennes, Fanchette avait le temp?ment r?lument jaur?en. Elle avait de qui tenir : dans les veines de toute sa famille coulait le sang rouge du socialisme d?cratique fran?s.

Ses deux grand-p? ?ient Lucien L?-Bruhl, ethnologue socialiste bien connu des jaur?ens, et Fr?ric Rauh, philosophe original et puissant, tr?proche de Jaur? et r?mment red?uvert, notamment par St?an Souli?pr?cier et ?teur d’un tr?int?ssant ouvrage publi?ux vaillantes ?span>ditions du Bord de l’eau, dans la petite collection dirig?par Vincent Peillon.

Le p? de Fanchette n’?it d’autre que Henri L?-Bruhl, grand juriste, professeur de droit romain, rest?id? aux sentiments socialistes de sa famille. Ce dernier fut d’ailleurs membre du conseil d’administration de notre Soci? plusieurs ann? durant. cette ascendance prestigieuse, il conviendrait d’ajouter celle de son mari, Jean-Paul L? (1911-1992), ancien pr?dent de Chambre ?a Cour de Cassation, fils de Paul L?, l’ancien directeur des Beaux-arts, et neveu du philosophe pacifiste Michel Alexandre, lui-m? ?ux de Jeanne Halbwachs, la sœur du sociologue Maurice Halbwachs. Jean-Paul et Fanchette L? ?ient en outre tous deux rest?des amis fid?s de Madeleine Reb?oux, gr? ?ui je fis leur connaissance.

Jusqu’?a mort, Fanchette entretint un int?t passionn?our l’actualit?olitique. Des coups de t?phone r?liers ?ient l’occasion pour elle de faire le point sur une situation ?lu??’aune de sa fibre tremp?dans une gauche rest?fi? des grandes heures du Front populaire et de la m?ire de L? Blum. Elle se lamentait souvent tout ?a fois face ?ne droite de plus en plus impr??de valeurs antir?blicaines et devant une gauche qu’elle jugeait parfois s?rement. Pour Fanchette, la gauche devait ?e la gauche, un point c’est tout, c’est-?ire fid?s aux id? de ses grands fondateurs, de Jaur??? Blum.

Il y avait enfin chez Fanchette une g?rosit?xceptionnelle et un int?t pour autrui dans l’esprit de ce qu’?es yeux signifiait « ?e de gauche » : pas seulement une adh?on passive ou militante ?es id? mais aussi un comportement en ad?ation avec l’Id?socialiste. Tel ?it le sens de ses grandes r?ions familiales qu’elle organisait au mois de janvier autour de m?rables galettes et o?aque enfant trouvait un cadeau apport?ar de myst?eux rois mages, tr?r?blicains bien s?Telle ?it aussi la signification de son engagement aupr?des personnes aveugles pour lesquelles elle a longtemps enregistr?es textes o? voix claire, ?gante et distincte faisait merveille.

En disparaissant, Fanchette nous laisse un peu plus encore orphelin d’une forme d’engagement politique qui r?ndait d’abord ?ne exigence morale.

Christophe Prochasson

L? Wajngart (1929-2012)

Pour les jaur?ens, L? Wajngart ?it surtout le mari, fid? collaborateur et chaleureux compagnon de son ?use, Annick Wajngart (1922-2006), n?Taburet, qui fut plus de vingt ans la tr?ri? de la Soci? et de son bulletin. Elle fut aussi une sp?aliste avis?de la philosophie de Jaur? responsable du tome 3 des œuvres, Philosopher ?rente ans (Fayard, 2000). La famille de L?, d'origine polonaise et install?en France, avait subi de plein fouet les pers?tions nazies. Les deux fr?s a?s de L? moururent ?uschwitz, le premier tortur?ar le docteur Mengele, le second, ancien r?stant, abattu par un kapo. L? encore enfant v?t avec le reste de sa famille r?gi?ans le Cantal jusqu'?a Lib?tion. Il ?it un militant passionn?toujours allant, le plus souvent d'humeur joviale, intarissable d?tteur. Sa grande ?que fut celle du PSU et il ?it rest?ctif parmi les amis de Tribune socialiste. Militant socialiste avec Annick dans le 15e arrondissement de Paris, tous deux continu?nt ?'?e apr?leur retraite dans la Ni?e, ?arzy, o?on fut parfois candidat aux ?ctions municipales et cantonales. Ce rocardien combatif des ann? 1980 se situait ces derni?s ann? dans l'aile gauche du Parti socialiste, soutenant les contributions ou les motions les plus exigeantes. Il aimait discuter, ?anger des id? et son dernier engagement fut l'animation de l'universit?u temps libre de Clamecy, la ville de Romain Rolland et de Claude Tillier.

Gilles Candar

Notes de base de page numériques:

1. Dieter Groh, Negative Integration und revolution?r Attentismus. Die deutsche Sozialdemokratie am Vorabend des Ersten Weltkrieges, Francfort-Berlin, Propyl?, 1973.
2. Hans-Joseph Steinberg, Sozialismus und deutsche Sozialdemokratie. Zur Ideologie der Partei vor dem I. Weltkrieg, Hanovre, Verlag f?iteratur und Zeitgeschehen, 1967.
3. D. Groh, « Int?ation n?tive et attentisme r?lutionnaire », Le Mouvement social, n° 95, avril-juin 1976, pp. 71-116.
4. D. Groh, « Jaur?et Bebel », Bulletin de la Soci? d’?des jaur?ennes, n° 65, avril-juin 1977, pp. 6-7.
5. Madeleine Reb?oux (dir.), Jaur?et la classe ouvri?, Paris, ?itions ouvri?s, 1981, p. 191.
6. D. Groh, « Jaur?und die deutsche Sozialdemokratie » in Ulrike Brummert (ed.), Jean Jaur? Frankreich, Deutschland und die Zweite Internationale am Vorabend des Ersten Weltkrieges, T?gen, Gunter Narr Verlag, 1989, pp. 1-23.
7. D. Groh, « Le mouvement ouvrier “marxiste” allemand : un malentendu historique ? » in Bernard Chavance (dir.), Marx en perspective, Paris, ?itions de l’EHESS, 1985, pp. 585-608.
8. Cf. nos Cahiers Jaur?/em> n°203.
9. D. Groh, Emanzipation und Integration. Beitr? zur Sozial- und Politikgeschichte der deutschen Arbeiterbewegung und des 2. Reiches, Constance, Univ. Verlag Konstanz, 1999.
10. Voir ?otre modeste niveau la n?ologie parue dans Les lettres fran?ses de novembre 2012. En ligne sur http://www.les-lettres-francaises.fr/.
11. Philippe Minard, « Eric Hobsbawm, un parcours d’historien dans le si?e », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 53 bis, 2006, pp. 5-12. Cf. ce num? : http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2006-5.htm

Pour citer cet article

, «In Memoriam », Cahiers Jaur?/i>, N° 207-208, janvier-juin 2013 : «Lire L'Arm?nouvelle»
En ligne : http://www.jaures.info/collections/document.php?id=1313