N° 205-206, juillet-décembre 2012 : Lectures

Type de document : Article
Pierre Lévêque

Réflexions sur des lectures

Table des matières

Selon une tradition désormais bien établie, le numéro double du second semestre 2012 des Cahiers Jaurès est entièrement consacré à des comptes rendus sous le titre habituel de « Lectures ».

Ce sont près de soixante ouvrages qui sont ainsi analysés. Un travail qui n’a pas mobilisé moins de vingt-six auteurs : ce nombre témoigne de la vitalité de notre Société, et aussi de son rayonnement puisque plusieurs d’entre eux sont des étrangers.

Les titres retenus ont été logiquement regroupés en huit thèmes, d’inégale importance. Le premier est, comme il est naturel, celui des « actualités jaurésiennes », avec deux ouvrages très différents, puisqu’il s’agit d’une part du livre consacré à Jaurès dans la collection « Ils ont fait la France » par Jacqueline Lalouette qui, après une biographie concise, a su présenter un excellent choix de textes de Jaurès et sur Jaurès, et d’autre part de la publication en espagnol au Venezuela des conférences faites par le leader socialiste français en Amérique latine en 1911.

Le second thème, « Le socialisme en France et en Europe », ne comporte pas moins de douze recensions, concernant des œuvres d’une extrême diversité : dans l’impossibilité de les mentionner toutes, on retiendra un essai synthétique de Jérôme Grondeux (Socialisme : la fin d’une histoire ?) ; les actes de deux colloques organisés en 2011 sur les socialismes, l’un par la Fondation Jean-Jaurès, l’autre à Cerisy-la-Salle à l’initiative de Juliette Grange et de Pierre Musso ; une présentation de la thèse de Jean-Numa Ducange sur la Révolution française vue par les social-démocraties allemande et autrichienne ; la publication de lettres échangées entre Friedrich Engels et le leader social-démocrate autrichien Victor Adler ; une histoire de la Première Internationale due à Mathieu Léonard ; enfin l’évocation de quatre militants fort différents, Benoît Malon, dont notre collègue Claude Latta s’emploie depuis longtemps à analyser la pensée et le rôle historique, Lucien Febvre, le grand historien qui fut dans ses années bisontines un socialiste d’extrême-gauche, Gabriel Péri, l’un des plus originaux parmi les leaders communistes de l’entre-deux-guerres et, beaucoup moins connu, Lucien Cancouët, syndicaliste pacifiste demeuré proche de Marcel Déat pendant les années sombres. On placera à part l’étude dirigée par Sophie Cœuré sur les voyages d’intellectuels français en URSS abordés non d’après leurs propres récits, mais à partir des archives soviétiques.

De la troisième partie consacrée aux « mondes ouvriers », on mentionnera en particulier la réédition bienvenue en français du chef d’œuvre pionnier d’Edward P. Thompson sur La formation de la classe ouvrière anglaise ; l’analyse de la thèse, elle aussi traduite de l’anglais, de Helen Harden-Chenut sur Les Bonnetières de Troyes sous la Troisième République ; la toute récente et utile synthèse de Xavier Vigna sur le monde ouvrier en France au XXe siècle, et l’ouvrage co-dirigé par Alain Chatriot sur l’élaboration du premier Code du travail français en 1910.

Le quatrième thème (« Histoires sociales et culturelles ») est tellement vaste que cette brève introduction ne saurait donner une idée exacte de la variété des sujets abordés. Retenons seulement le livre de François Ploux sur la grande vogue des monographies communales (des « petites patries ») de 1830 à 1930 et la part prise dans leur élaboration par les curés et les instituteurs ; les ouvrages consacrés par Jean-Marie Augustin au théoricien de l’eugénisme Vacher de Lapouge et par Dominique Pinsolle au journal Le Matin (« une presse d’argent et de chantage ») ; et le recueil dirigé par Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky, d’où ressortent des rapports apparemment paradoxaux entre la « révolution » libertaire de Mai 1968 et la libéralisation économique des décennies qui ont suivi.

Les comptes rendus suivants concernent l’histoire des Républiques : la Deuxième avec l’étude détaillée par Rémy Cazals des événements de décembre 1851 à Mazamet ; la Troisième avec le livre où le grand spécialiste qu’est Vincent Duclert se penche sur l’engagement des intellectuels et plus particulièrement des « savants » dans l’affaire Dreyfus, mais aussi la synthèse consacrée par Christian Bougeard aux forces politiques en Bretagne de 1914 à 1946 ; et même la Cinquième en sa période de gestation avec la publication de témoignages de ceux qui en ont préparé la Constitution.

La sixième partie, sous un titre très général (« Penser la politique et le droit ») ne recense pas moins de onze ouvrages très divers, si bien qu’on se contentera de mentionner ici ceux qui ont le rapport le plus étroit avec le socialisme : la publication par Jean-Fabien Spitz de textes politiques de Louis Blanc ; les réflexions approfondies de Pierre Rosanvallon sur La société des égaux souhaitant en conclusion « une démocratie intégrale résultant de l’interpénétration des idéaux longtemps séparés du socialisme et de la démocratie » ; le recueil dirigé par Michel Biard et Bernard Gainot, dont les nombreuses contributions ont trait à la notion d’« extrémisme » et à son utilisation pour la « stigmatisation des gauches en Europe ». À signaler aussi, dans un domaine évidemment différent, les actes du colloque sur Le corporatisme dans l’aire francophone au XXe siècle publiés sous la direction d’Olivier Dard.

De l’ensemble consacré aux guerres, on retiendra surtout l’imposant ouvrage d’Emmanuel Saint-Fuscien sur La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, la monographie de Raymond Huard sur le département du Gard de 1914 à 1919, enfin les actes, très riches, publiés sous la direction de François Bouloc, Rémy Cazals et André Loez, du colloque sur Les appartenances sociales et nationales à l’épreuve de la guerre. Dans ce domaine, l’approche du centenaire de 1914 va certainement multiplier les travaux historiques dont notre revue aura à rendre compte.

Le dernier thème, sous le titre « Problèmes coloniaux et internationaux », ne permet pas plus que plusieurs autres une présentation exhaustive. La colonisation française est représentée par deux études, l’une de Pierre Singaravelou sur Les « sciences coloniales » en France sous la Troisième République, l’autre de Jacky Bena sur les loges maçonniques dans l’Afrique du Nord française. Mais les principaux comptes rendus concernent naturellement diverses organisations internationales : l’Organisation Internationale du Travail, objet d’un colloque à Genève en 2008 ; la Société Des Nations comme initiative d’une régulation économique mondiale (Yann Decorzant) et la Communauté Économique Européenne, avec deux contributions très différentes, l’une d’Antonin Cohen, l’autre de Laurent Warlouzet, relatives à ses origines.

Le nombre et la variété des travaux historiques dont rend compte ce numéro de notre revue a bien sûr interdit de les mentionner tous ici : je tiens à m’en excuser auprès des auteurs des ouvrages et des recensions. Mais il s’agissait avant tout, non d’être exhaustif, mais de montrer une fois de plus à quel point les membres les plus actifs de notre Société ont le souci d’insérer l’objet principal de leurs recherches, Jaurès et le socialisme français de son temps, dans une vision globale sans cesse précisée et développée de l’histoire contemporaine de la France, de l’Europe et du monde.

Pour citer cet article

Pierre Lévêque, «Réflexions sur des lectures », Cahiers Jaurès, N° 205-206, juillet-décembre 2012 : «Lectures»
En ligne : http://www.jaures.info/collections/document.php?id=1275