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N° 200, avril-juin 2011 : Pourquoi Jaur??

Alain Chatriot

Jaur? et pourquoi pas !

Texte intégral

la question volontairement provocatrice que nous avons choisie pour titrer ce num? 200, comme responsable de la publication, j’ai la tentation de r?ndre par cette formule exclamative. On y verra bien s?au choix et tout ?a fois, le go?e l’aventure et de la curiosit?u futur commandant Charcot et le sens po?que de Desnos. Plus scientifiquement, il nous a sembl?ue pour ?ter de donner une tonalit?uto-c?bratrice ?e num? 200, on pouvait proposer ?ertains membres actifs et amis de la Soci? d’?des jaur?ennes (SEJ) de s’exprimer sur le rapport ?aur?dans leur travail scientifique, intellectuel, politique. L’exercice s’est r?l?arfois d?cat tant il n’est pas toujours simple d’objectiver le travail de recherche et de publication qu’il soit individuel ou collectif. Il nous a sembl?ependant assez salutaire et si nous ne pouvons savoir ce qu’en auraient pens?os deux premiers pr?dents de la SEJ, on aime ?roire qu’Ernest Labrousse comme Madeleine Reb?oux auraient eu de quoi r?ir en lisant ce volume. Le responsable des Cahiers qui a propos?l y a plus d’un an ?a SEJ cette th?tique large ne peut en tout cas que se r?uir du r?ltat et remercier tous ses coll?es pour avoir accept?e « jouer le jeu » en nous proposant des textes tr?divers, mais tous reli?par un go?our la recherche, le travail intellectuel et la r?exion politique.

La t?e de l’?torialiste n’en est pas simplifi?pour autant et de peur de d?urager le lecteur, le propos reste ici limit? quelques ?ments pour montrer la diversit?e nos activit?et publications.

On ne peut ici retracer l’histoire de la SEJ dans le d?il et dans ses ?pes successives1. Il convient juste de rappeler ce qui a pr?d? sa cr?ion. La liste des adh?nts de la Soci? publi?dans le cinqui? bulletin (3e ann? avril-juin 1962) regroupe, entre autres, d’?nents universitaires de diff?ntes g?rations et sp?alit?(Charles-Robert Ageron, Raymond Aron, Paul B?chou, Jean Bruhat, Lucien Goldmann, Jean Hyppolite, Jules Isaac, Charles-Andr?ulien, Annie Kriegel, Ernest Labrousse, Henri L?-Bruhl, Jean Maitron, Edgar Milhaud, Jacques Ozouf, Michelle Perrot, Madeleine Reb?oux, Jean Stengers, Rolande Tremp? des figures politiques (Colette Audry, Vincent Auriol, ?ouard Depreux, Albert Gazier, Daniel Mayer, Guy Mollet, Marius Moutet, Joseph Paul-Boncour, Andr?hilip, Alain Savary, Robert Verdier), et m? quelques figures de la vie culturelle tr?reconnue comme Louis Aragon, Jean Bruller dit Vercors, Julien Ca? Robert Debr?t Jean Gu?nno. Jaur?appara?alors comme pouvant ?e dans ce contexte du d?t des ann? soixante ?a fois une figure de r?rence et une figure de consensus pour des profils politiques tr?vari? Mais si certaines adh?ons sont politiquement un peu oblig?, le point commun de plusieurs membres actifs de la Soci? r?de sans doute dans un militantisme qui n’a pas h?t? entrer en dissidence2.

Si la cr?ion de la SEJ ?it comprise dans le cadre large des manifestations du centenaire de la naissance de Jaur?et si la SEJ a jou?n r?actif dans le cadre des comm?rations r?ntes du cent cinquanti? anniversaire de cette naissance, nous avons toujours refus?’?e enferm?ans un r?r?it ?elui d’?e seulement l’expert des expositions et des manifestations publiques. En 1959, Ernest Labrousse, ?ui l’on proposait de faire rena?e la Soci? des Amis de Jaur? fond?en 1915 et qui avait alors commenc? entreprendre une ?tion des œuvres de Jaur? « orienta le projet non vers la constitution d’une soci? d’Amiti?mais d’un groupement ?bli sur une base scientifique »3. Nous essayons ?otre mani? aujourd’hui de rester fid? ?ette id? Ainsi depuis plusieurs ann?, nous avons renforc?os proc?res de mise en lecture des articles que nous recevons aux Cahiers pour tenter, ?otre modeste ?elle, de fonctionner suivant les crit?s des revues scientifiques. La mobilisation des membres de notre conseil d’administration comme comit?e lecture en appoint de la petite ?ipe r?ctionnelle est ici pr?euse.

Notre structure reste l?re, mais nous avons su collectivement l’adapter et notre pr?nce sur le portail de revues ?ctroniques Cairn, la future politique de num?sation des premi?s s?es des Cahiers, et l’existence d’un site internet de la soci? aident ?onserver de la visibilit?our notre travail scientifique. Reprenant l’impulsion lanc?par mes pr?cesseurs, j’ai donc pu accompagner la bonne r?larit?e la sortie des Cahiers au cours des derni?s ann?, et tous ceux qui se sont occup?ou sont responsables d’une revue savent combien cela peut parfois ?e ardu.

La SEJ et les Cahiers Jaur?/em> n’ont bien s?ucun monopole sur les publications jaur?ennes et on doit se r?uir que bien d’autres revues publient des articles importants li??a figure de Jaur?span style="font-family:AGaramond,serif; font-size:6.67pt; vertical-align:super;">4. Nous souhaitons juste continuer ?voir un pouvoir d’impulsion, ?ointer des sujets de recherche, ?ccompagner les ?lutions de l’historiographie autour de Jaur? mais aussi dans un cadre plus large. L’histoire de la gauche, du socialisme, des ph?m?s r?lutionnaires, du mouvement ouvrier, des intellectuels, des politiques ?nomiques et sociales nous concernent directement et ce sur une p?ode qui couvre les XIXe et XXe si?es, la France au premier titre, mais aussi d’autres pays europ?s et ?’occasion l’ensemble du monde.

Depuis 2005, plusieurs num?s ont ? des hommages ?adeleine Reb?oux, pr?nte ?a fondation et pr?dente pendant plus de vingt ans de notre soci? en en ?nt la premi? animatrice. Dans ces diff?nts volumes5, nous avons fait part de t?ignages sur l’enseignante, la coll?e, l’historienne engag? mais nous avons toujours voulu y associer une r?exion historiographique sur la situation pr?nte de l’histoire sociale, de celle du mouvement ouvrier ou du socialisme. Cette interrogation historiographique trouve par exemple ?’exprimer encore dans ce pr?nt num? ?ravers plusieurs contributions. Sans vouloir lui accorder une part d?sur?dans nos pages, elle nous para?aujourd’hui importante ?n moment o?i nous sommes sortis de la p?ode de « gloire » – ou de « mode » – des ?des sur le mouvement ouvrier et le socialisme, les questions que posent l’histoire sociale n’ont en rien disparues.

Si notre revue essaye d’accorder une place prioritaire ?’histoire sociale et ?’histoire politique, toutes deux entendues dans des acceptions larges6, l’histoire ?nomique tout comme l’histoire culturelle sont bien s?ussi pr?ntes. Sans vouloir y insister une fois de plus, l’espace que nous accordons depuis plusieurs ann? ?os num?s annuels de recensions en sont des t?ignages directs. Le rythme de ceux-ci maintenant bien r?lier correspond ?otre conviction de chercheurs sur la n?ssit?e faire conna?e et de d?ttre des diff?ntes publications pouvant rencontrer l’int?t de nos lecteurs. Si les comptes rendus ont des tailles variables, nous nous refusons ?es r?ire ?e trop succincts r?m?des livres et encourageons nos contributeurs ?aire part de leur point de vue critique au meilleur sens du terme.

L’actualit?e Jaur?est multiple, mais toujours complexe ?esurer, tant nous ne sommes pas partisans ?a SEJ de tout ramener ?aur?

Notre travail collectif d’?tion critique des œuvres, v?table identit?cientifique de la soci?, avance lentement, mais, depuis quelques ann?, s?ent, et ce travail n’est pas n?igeable car il permet ensuite de se r?rer pr?s?nt aux textes, de mieux les faire conna?e et on les voit ensuite parfois utilis??on escient – on peut ici penser aux textes remarquables sur la classe moyenne de 1889 cit?r?mment par Thierry Pech7.

Nos conf?nces Jaur?pr?nt? annuellement lors de notre assembl?g?rale et publi? dans les Cahiers ont aussi propos?u cours des derni?s ann? de traiter tout ?a fois des sujets importants et renouvel?par l’historiographie. Nous avions essay?e le faire pour notre part en mars 2005 en reposant la question de la chambre du travail8.

Les conf?nces de jeunes coll?es, doctorants ou jeunes docteurs, montrent en tout cas la vivacit?es questionnements et des recherches. Pour prendre juste les toutes derni?s ann? : en 2008 Romain Ducoulombier a r??i aux socialistes devant la guerre et la scission entre 1914 et 19209, en 2009 Emmanuel Jousse est revenu sur le d?t classique du r?sionnisme de Bernstein et la perception de Jaur?span style="font-family:AGaramond,serif; font-size:6.67pt; vertical-align:super;">10, en 2010 Nicolas Delalande a abord?ne question trop longtemps d?iss?: celle des socialistes et l’imp?pan style="font-family:AGaramond,serif; font-size:6.67pt; vertical-align:super;">11 et en 2011 avec un texte publi?ans le pr?nt num? Marion Fontaine, secr?ire de la SEJ, ?die les usages politiques de Jaur? Ceux-ci ont toujours tr?nombreux et Marion Fontaine le montre fort bien. Rappelons juste ici, un extrait du beau discours prononc?ar Pierre Mend?France le 20 juin 1959 lors du centenaire de la naissance de Jaur?:

« L’optimisme de Jaur? c’est celui du courage. Du courage, dont il a dit : “C’est de ne pas subir la loi du mensonge qui passe.” »12.

Les visages de Jaur?restent multiples et si aujourd’hui est encore c?br?e leader socialiste et pacifiste, on oublie parfois trop le penseur, philosophe et historien, et plus largement l’homme de culture. Il suffirait pourtant de se rappeler pour finir cette lettre impressionnante adress?par Jaur??’hell?ste Henri Weil ?’occasion de son 90e anniversaire. Dans cette lettre du 26 ao?908 qu’il commence par « Monsieur et v?r?a?e », Jaur??it ainsi :

« J’ai fait personnellement l’?euve, dans une vie envahie par d’autres travaux que l’hell?sme est rest?hose vivante. Il y a des cimes qui ne disparaissent jamais de l’horizon, et l’?tion que suscitent les plus hautes œuvres de la Gr? s’applique ?es objets que la Gr? n’a pas connus, ?es id? qu’elle n’a pas pressenties. Je ne pouvais, par exemple, en relisant l’Orestie d’Eschyle avec une admiration passionn? me d?ndre de la pens?que l’antique fatalit?es repr?illes se continuait aujourd’hui sous d’autres formes. Il y a une Orestie des nations qui vengent ?’infini la violence par la violence et qui emplissent toutes et vident tour ?our la coupe de sang. Quand viendra l’Ath? nouvelle, qui rompra ce cercle maudit en cr?t l’Ar?age des peuples ? »13.

Alain Chatriot

Notes de bas de page :

1. On rappelle pour m?ire les tr?utiles tables publi? : Gilles Candar, Vincent Duclert, Raphaelle Ernst, Jean-Pierre Rioux, « Tables g?rales 1960-1996, n° 1 ?42 », Jean Jaur?cahiers trimestriels, n° 142, octobre-d?mbre 1996, pp. 109-163 et V. Duclert, « Quarante ans de recherches jaur?ennes (1959-1999) », Jean Jaur?cahiers trimestriels, n° 149, juillet-septembre 1998, pp. 1-63. Ces tables prolongent d’ailleurs des tables partielles publi? ant?eurement dans le Bulletin.
2. On reprend sur ce point une id??nc?par Fran?se Blum. F. Blum, « Portrait de groupe avec dame », Cahiers Jaur? n° 183-184, pp. 53-64, p. 56.
3. « Vie de la soci? », Bulletin de la Soci? d’?des jaur?ennes, n° 5, avril-juin 1962, p. 14. On peut aussi rappeler le bel ?torial sign?n ouverture du premier bulletin : Ernest Labrousse, « Avenir de Jaur?», Bulletin de la Soci? d’?des jaur?ennes, n° 1, juin 1960, p. 4 – la soci? ayant ? fond?en 1959.
4. Pour citer quelques exemples dans des registres et ?es p?odes volontairement tr?diff?nts : Aaron Noland, « Individualism in Jean Jaur? socialist thought », Journal of the History of Ideas, vol. 22, n° 1, janvier-mars 1961, pp. 63-80 ; Charles-Robert Ageron, « Jaur?et la question alg?enne », Le Mouvement social, n° 42, janvier-mars 1963, pp. 3-29 ; Pierre Muller, « Jaur?et Guesde, deux interlocuteurs socialistes en 1900 », Mots, vol. 19, n° 1, 1989, pp. 53-65 ; Avner Ben Amos, « La “panth?isation” de Jean Jaur? Rituel et politique sous la IIIe R?blique », Terrain, n° 15, 1990, pp. 49-64 ; G. Candar, « Jean Jaur?et le r?rmisme », Histoire@politique, n° 13, 2011-1, pp. 32-43.
5. « Hommage ?adeleine Reb?oux », Cahiers Jaur? n° 174, octobre-d?mbre 2004 [imprim?n fait en ao?005], pp. 3-23, « Madeleine Reb?oux entre France et Italie : regards crois?», Cahiers Jaur? n° 183-184, janvier-juin 2007, pp. 3-130 – ce num? comporte d’ailleurs sous la plume de G. Candar un article intitul? Pourquoi Jaur?? », pp. 43-51, mais l’interrogation ne porte que sur les liens Reb?oux/Jaur?et n’est pas une question g?rale comme celle propos?dans ce num? 200 – et « Histoires du socialisme », Cahiers Jaur? n° 191, janvier-mars 2009, pp. 3-104.
6. Les recensions publi? dans nos num?s de « Lectures » rappellent souvent que l’histoire sociale ne se limite pas ?elle du monde ouvrier et que l’histoire politique n’est pas plus soluble dans celle des partis et des ?ctions.
7. Thierry Pech, « Deux cents ans de classes moyennes en France (1789-2010) », L’?onomie politique, janvier-f?ier-mars 2011, pp. 69-97. Les textes en question sont : « Les classes sociales », 3 mars 1889 et « Le capitalisme et la classe moyenne », 10 mars 1889, Jean Jaur?/span>, Œuvres, t. 1, Les Ann? de jeunesse (1859-1889), Paris, Fayard, 2009, pp. 600-608 – on peut aussi y joindre « La classe moyenne et la question sociale » du 17 mars non repris dans le volume d’œuvres mais reproduit p. 92 dans l’?tion int?ale des articles de Jaur?/span> dans La D?che, sous la direction de R? Pech et R? Cazals, Toulouse, Privat, 2009.
8. Alain Chatriot, « Jaur?face au S?t. La Chambre haute : probl? ou solution pour les socialistes et les r?blicains », Cahiers Jaur?/em>, n° 174, octobre-d?mbre 2004, pp. 39-52.
9. Romain Ducoulombier, « Les socialistes devant la guerre et la scission (1914-1920) », Cahiers Jaur? n° 189, juillet-septembre 2008, pp. 33-55.
10. Emmanuel Jousse, « Jean Jaur?et le r?sionnisme de Bernstein : logiques d’une m?ise », Cahiers Jaur? n° 192, avril-juin 2009, pp. 13-49.
11. Nicolas Delalande, « Jaur? les socialistes et l’imp? un d?t historique (1880-1914) », Cahiers Jaur? n° 197, juillet-septembre 2010, pp. 3-26.
12. Pierre Mend?France, Œuvres compl?s. T. 6, Une vision du monde, 1974-1982, Paris, Gallimard, 1990, p. 278, le discours avait auparavant ? republi?ans le volume ?t?n 1976 sous le titre La v?t?uidait leur pas.
13. En reprenant cette citation, nous nous inscrivons dans une longue filiation d’hommages et d’?des jaur?ens : un fac-simil?artiel de l’?iture manuscrite de cette lettre de Jaur?avait ? publi?ans Le Quotidien, n° 653 bis, num? exceptionnel et gratuit du 23 novembre 1924 accompagnant l’entr?de Jaur?au Panth?. La lettre a ensuite ? pr?nt?dans le Bulletin de la Soci? d’?des jaur?ennes, n° 31, octobre-d?mbre 1968, pp. 10-11.

Pour citer cet article :

Alain Chatriot, «Jaur? et pourquoi pas ! », Cahiers Jaur?/i>, N° 200, avril-juin 2011 : «Pourquoi Jaur??».
En ligne : http://www.jaures.info/collections/document.php?id=1196