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N° 203, janvier-mars 2012 : Georges Haupt, l’Internationale pour m?ode

Maria Grazia Meriggi

Introduction

Texte intégral

L’historien qui pr?ntait le livre regroupant plusieurs essais de Georges Haut en 19781, quelques mois apr?sa mort pr?tur? indiquait avec pr?sion l’originalit?e sa d?rche, principalement ax?autour de deux th?s : d’une part, la volont?’?fier une histoire qu’on pourrait aujourd’hui d?nir comme une histoire sociale des institutions d’une grande organisation (en l’occurrence la Deuxi? Internationale, mais cette m?ode pourrait ?ntuellement s’appliquer ?’autres institutions) ; d’autre part l’ambition d’?ire une histoire ?istance de celle qu’il appelait « stalinienne », qui figeait le bouillonnement complexe et passionnant des exp?ences des travailleurs associ?en des monuments uniquement consacr??a l?timation d’une politique. Cette histoire politique caricaturale, tout comme le stalinisme, n’existent plus, mais tout lecteur peut ais?nt imaginer d’autres histoires politiques consacr? ?’apologie d’autres entreprises « mainstream ». L’histoire de Haupt est en m? temps rest??ign?d’une histoire tr?pratiqu?dans ces ann?-l?uniquement int?ss?par les moments de r?ltes et de r?llions, et par cela m? incapable de comprendre les conditions qui en permettent la formation et l’?osion. On retrouve l?ncore sur ce point des ?os contemporains, avec l’?atement des cadres de l’histoire des mondes du travail en une quantit?’histoires particuli?s, qui s’expriment parfois dans une mani? « sectaire » d’?ire, ainsi par exemple avec les « gender studies ».

L’originalit?e l’approche de Georges Haupt, la richesse complexe de son r?au de relations internationales – bien attest?dans le num? que nous proposons ici – aurait pu assurer un grand avenir ?ne v?table ?le inspir?par lui malgr?a disparition si pr?ce. Aujourd’hui il s’agit de revendiquer non seulement sa m?ire, mais l’actualit?’une m?ode malheureusement oubli??ause de l’?ipse – ou la suppos??ipse – des sujets qu’il avait ?di? J’ai eu l’occasion de parler des raisons de cette ?ipse apparente et des conditions de l’?rgence d’un int?t renouvel?our les th?s d’histoire sociale chers ?aupt dans une sorte de bilan ; je renvoie ?e texte2 en en citant ici un extrait :

« Les rebondissements [de l’histoire europ?ne] qui ont pouss?ant de jeunes historiens ?n certain d?nvestissement dans les recherches relatives ?’histoire du socialisme ont frapp?out particuli?ment les historiens du monde du travail. Mais cette constatation pr?nte un aspect contradictoire. La discipline se porte en effet tr?bien, loin d?rmais de toute tentation hagiographique dans la narration des organisations ouvri?s et elle r?ise un croisement f?nd d’histoire sociale, d’histoire des territoires et de l’enracinement des associations de travailleurs, permettant une histoire g?rale tout ?ait remarquable. Stefano Musso, dans son expos?u colloque annuel de l’International Association of Labour History Institutions (Milan, 16-19 septembre 1998), avait d? observ?ue “nous” avions perfectionn?otre m?er et enrichi notre bo? ?utils, ?’abri de l’attention du public et de l’exploitation publique de l’histoire. En m? temps, les recherches portant sur l’histoire des entreprises, des secteurs et des “districts industriels”, les recherches autour des professions et du management se sont ?ncip? d’une longue p?ode hagiographique : elles participent d?rmais ?ne entreprise complexe de parcours dans le domaine des mondes du travail, comme Duccio Bigazzi l’avait d? relev?ans les ann? 1980 » 3.

?lipse apparente, permanence et renouvellement des int?ts pour les th?s d’une histoire sociale des mondes du travail et de leurs conditions de vie, y compris celle de leurs organisations et associations : c’est un peu le m? tableau qu’a trac?e colloque de la Fondation Jean Jaur?consacr? l’histoire du socialisme, les 5 et 6 f?ier 2009 (« Qu’est devenue l’histoire du socialisme ? »)4, tout comme le num? des Cahiers Jaur?/em> publi?uelques ann? plus t?n 2007 et traitant, lui, de Madeleine Reb?oux et de l’Italie5.

En effet, malgr?es ann? qui ont rendu presque m?nnaissable le monde acad?que et intellectuel o?orges Haupt avait ?lu?au moment o?ai demand?es contributions aux auteurs de ce num?, outre des souvenirs, un ensemble de suggestions et d’id? nous a confirm?ans notre intention : trente ans apr?sa mort (cette r?exion a commenc?n effet en 2008), il ?it temps de rouvrir un « dossier Haupt » bien au-del?e la m?ire pieuse d’un cher disparu, de pr?nter l’actualit?’une m?ode sur des sujets qu’il avait d? puissamment contribu? installer au centre de l’histoire et de la culture des soci?s europ?nes.

Le sommaire de ce num? l’atteste. D’une part, il pr?nte des contributions « dans les pas » de Haupt, contributions qui montrent la vitalit?e sa m?ode (Bidussa, Candar, Ducange, Meriggi). D’autre part, il comprend des r?exions qui croisent l’?cation d’une personnalit?t son rayonnement sur le travail de divers historiens (Dreyfus, Jemnitz, L? Panaccione, Weill). Mariuccia Salvati de son c?revient, dans un texte passionnant, sur les rapports de Haupt avec Lelio Basso et sur les liens qui ont permis, entre autres, la naissance et le d?loppement de la Fondation du m? nom, ainsi que l’affirmation de son r?au croisement de la politique et de la recherche.

Dans les recherches de Haupt, le th? des ?anges militants et intellectuels non seulement dans les pays capitalistes qui avaient vu na?e les partis socialistes, mais aussi dans l’Europe centrale et orientale, ?it pr?nt depuis ses d?ts. Il a d?lopp?ette orientation dans de nombreux articles et livres collectifs. Cette d?rche orientait aussi sa vie : il mettait constamment en relation hommes et femmes au croisement de la recherche et de la politique. Il est l’un des tr?rares historiens qui a soulign?lut?es continuit?sociales que les coupures politiques entre les Deuxi? et Troisi? Internationales, comme l’atteste la publication de la correspondance entre Camille Huysmans et L?ne dont il s’occupa6. Son activit?’est d?oy?aussi avec la direction de collections ?toriales et ?demment dans son travail ?’?ole des Hautes ?udes en Sciences Sociales : il y a eu malheureusement nombre d’activit? comme l’?tion de sources et la direction de collections, qui se sont arr?es ?a disparition.

Nous esp?ns que ce num? d’hommage puisse mettre ?ouveau en discussion des probl?s, des interrogations, des textes et – on peut toujours r?r – susciter de nouvelles pistes de recherche dans un esprit d’aller et retour entre le pass?t le pr?nt qui valorise le premier autant que le deuxi?, m?ode que Georges Haupt n’a jamais cess?e pratiquer dans les diverses ?pes complexes de sa vie, et qui ont ?lement ? pour beaucoup les ?pes tumultueuses du second vingti? si?e.

Notes de bas de page :

1. Franco Andreucci dans Georges Haupt, L’internazionale socialista dalla Comune a Lenin, Turin, Einaudi, 1978.
2. Maria Grazia Meriggi, « L’historiographie sociale en Italie entre la “formation ?nomique et sociale” capitaliste et les sociabilit?ouvri?s » (http://www.marxau21.fr). Cet article est la transcription de l’intervention prononc?le 30 octobre 2010 dans le s?naire « Marx au XXIe si?e. L’esprit et la lettre » (Universit?e Paris 1), dirig?ar Jean-Numa Ducange, Isabelle Garo et Jean Salem.
3. Voir en particulier Duccio Bigazzi, Il Portello : operai, tecnici e imprenditori all’Alfa Romeo, 1906-1926, Milan, FrancoAngeli, 1988.
4. « Histoires du socialisme », Cahiers Jaur? n° 191, janvier-mars 2009.
5. « Madeleine Reb?oux entre France et Italie : regards crois?», Cahiers Jaur? n° 183-184, janvier-juin 2007.
6Correspondance entre L?ne et Camille Huysmans, 1905-1914, publi?par G. Haupt, Paris, La Haye, Mouton, 1963.

Pour citer cet article :

Maria Grazia Meriggi, «Introduction », Cahiers Jaur?/i>, N° 203, janvier-mars 2012 : «Georges Haupt, l’Internationale pour m?ode», pp. 9-12.
En ligne : http://www.jaures.info/collections/document.php?id=1237